La France va exiger des docteurs qu’ils prêtent un serment d’éthique de la recherche
Qu’ils étudient la bioinformatique, l’histoire ou l’astrophysique, les titulaires d’un doctorat en France devront prêter un serment d’intégrité le jour où ils soutiennent efficacement leur thèse, dans le cadre de ce qui semble être la toute première initiative nationale de ce type. Peu de scientifiques, en France ou ailleurs, pensent que le serment à lui seul est le plus à même de prévenir les écarts de conduite. Cependant, certains y voient un pas symbolique dans la bonne direction qui pourrait inspirer des changements dans d’autres endroits.
“Nous avions un très long chemin à parcourir” par rapport à quelques autres nations, déclare Stéphanie Ruphy, directrice de l’Office français pour l’intégrité de la recherche (OFIS), qui a participé à la rédaction du serment. Les efforts de la France pour promouvoir activement une recherche honnête et digne de confiance se sont accélérés ces dernières années : introduction d’une charte nationale en 2015 définissant les devoirs des chercheurs, création de l’OFIS en 2017 et adoption de procédures relatives à la stabilité des études dans la loi en 2020. Les règles récemment adoptées, par exemple, permettent aux établissements d’enseignement supérieur de demander l’aide de l’OFIS pour nommer un comité externe chargé d’analyser les situations de mauvaise conduite présumée.
Le tout nouveau serment devrait devenir obligatoire pour les chercheurs de tous les domaines qui commencent leur doctorat ou qui renouvellent leur inscription au doctorat, à partir de l’automne. Une version préliminaire du serment, qui n’avait pas été finalisée ou publiée au moment où Scientific research allait sous presse, se lit en partie comme suit : “Je m’engage, dans la mesure de mes capacités, à garder et à maintenir l’intégrité dans mon rapport à la connaissance, à mes méthodes et aussi à mes résultats.”
Il sera mentionné dans la charte signée par chaque candidat au doctorat – ainsi que par son directeur de thèse et son institution – au début de son doctorat et sera pris lors de la remise du doctorat. Elle ne marquera pas l’entrée dans un corps professionnel particulier, comme le fait le serment d’Hippocrate pour les médecins, et ne sera pas non plus légitimement contraignante.
Toutefois, les scientifiques pourraient l’invoquer pour renforcer leur opposition à des actions douteuses, explique M. Ruphy. Il ajoutera certainement aussi de la solennité aux cérémonies de remise des diplômes qui, en France, se déroulent généralement dans des salles anonymes, sans toge ni fanfare.
“C’est une étape symbolique pour affirmer des valeurs communes ainsi que ce qui fait un bon chercheur”, déclare Sylvie Pommier, présidente de France Ph.D., un réseau national d’écoles doctorales. Cependant, Mme Pommier, qui a participé à la consultation sur la mise en œuvre du serment, et d’autres personnes pensent qu’il doit intervenir plus tôt dans le processus de formation des docteurs afin d’inculquer les notions d’intégrité dès le début de la carrière d’étudiant.
Hugh Desmond, philosophe des sciences et également de l’éthique à l’université d’Anvers en Belgique, voit dans le serment un excellent moyen de “renforcer le sens du professionnalisme chez les chercheurs, d’aider à coordonner les normes, et aussi de les rendre publiques.” Il pourrait “donner du pouvoir aux scientifiques qui se trouvent au bas de l’échelle hiérarchique, ainsi que libérer les scientifiques plus expérimentés”, qui peuvent se sentir piégés par des incitations vicieuses à la carrière et par le besoin de privilégier la quantité à la qualité, ajoute-t-il.
Boudewijn de Bruin, professeur d’éthique au Collège de Groningue, aux Pays-Bas, qui étudie les serments dans des professions telles que la comptabilité, est moins optimiste. “Je ne suis pas contre les serments en général”, mais leur contenu doit être suffisamment détaillé et spécifique pour fournir un soutien réel aux décisions éthiques, déclare-t-il. Le texte français, néanmoins, est court et générique ; ce type de serment n’apportera “rien”, dit-il.
Josefin Sundin, écologiste au Collège suédois des sciences agricoles qui a signalé un cas de mauvaise conduite dans la recherche sur les microplastiques, dit soutenir le serment mais est également sceptique. “La seule façon d’améliorer l’intégrité de la recherche est de promouvoir et de récompenser la rigueur, la transparence et la reproductibilité des études de recherche plutôt que l’aspect de l’impact et le nombre de publications”, dit-elle.
Le serment à lui seul ne résoudra pas ces problèmes plus profonds, convient la collaboratrice de Sundin, Dominique Roche, écologiste et métascientifique au Collège de Neuchâtel en Suisse. Toutefois, il s’agit d’une “évolution positive”, poursuit-il. “J’espère que d’autres nations suivront l’exemple de la France”.
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