Banques et finance durable : comment choisir où placer notre épargne ?

Banques et finance durable : comment choisir où placer notre épargne ?

Les banques jouent un rôle crucial dans la trajectoire climatique en finançant les projets des entreprises, ce qui représente une part significative des émissions de gaz à effet de serre. En effet, 98 % des émissions liées aux activités bancaires sont générées en aval, par les projets qu’elles facilitent par le crédit.

Ces financements couvrent un large éventail d’opérations économiques, telles que l’exploitation du gaz, la construction de terminaux méthaniers et de gazoducs, l’industrie chimique, ou encore l’agriculture. Par conséquent, une seule banque peut contribuer à plusieurs niveaux à une même émission de CO2, finançant ainsi toute la chaîne de production responsable de ces émissions.

Ce constat a conduit l’ONG Oxfam à titrer :

« L’empreinte carbone des grandes banques françaises représente près de huit fois les émissions de gaz à effet de serre de la France entière. »

En réalité, il ne s’agit pas d’une responsabilité directe, mais d’une mesure de la dépendance des banques et de leur modèle d’affaire à une économie très carbonée.

Parce qu’elles sont des entreprises privées, les banques font des choix de financement d’abord guidés par la rentabilité, la profitabilité à un instant donné.

Quand bien même elles peuvent montrer de la bonne volonté, elles vont surtout agir en fonction des contraintes économiques du moment.

Seuls un cadre réglementaire et des incitations sont donc à même de pousser les banques à financer des secteurs favorables à la lutte contre le changement climatique au détriment de secteurs rentables, mais polluants. Depuis deux ans, de nouvelles réglementations sont mises en place au niveau européen afin de contraindre les institutions financières (banques, assurances et sociétés de gestion) à prendre leurs responsabilités en réorientant leurs financements vers plus de durabilité.

Ces contraintes les obligent à adopter des stratégies de transition à long terme et à se montrer plus transparentes : vis-à-vis de la société civile, des institutions et des épargnants, qui réclament de savoir ce que leur argent sert à financer.

Quelles nouvelles obligations s’imposent désormais aux banques et comment pouvons-nous, en tant que particulier, choisir à qui nous confions notre épargne ?

Prise de conscience des risques climatiques

Pour faire évoluer le secteur financier, l’Union européenne s’est emparée de plusieurs leviers : le premier a été de lui faire prendre conscience que ses intérêts étaient exposés à plusieurs titres par les risques climatiques. Depuis 2020 avec la Banque de France, et 2022 au niveau européen, les grandes banques, assurances et sociétés de gestion ont dû mesurer leur vulnérabilité financière aux risques climatiques et aux risques liés à la transition.

. Par risques climatiques, on entend d’abord les risques physiques. La fréquence accrue des catastrophes naturelles, par exemple, expose davantage à ces risques les activités classiques qu’elles financent. Les banques et assurances dépendent du secteur l’immobilier, lui-même vulnérable aux sécheresses et à l’érosion des côtes.

. Mais il faut aussi considérer les risques de transition : les actifs non durables des banques – un bâtiment mal isolé ou un puits de pétrole – risquent d’être dépréciés en cas de politique climatique ambitieuse.

La Banque centrale européenne et la Banque de France ont donc essayé de projeter les banques dans un univers plus ambitieux au plan climatique, ou plus dégradé au plan des risques physiques, afin qu’elles analysent les impacts financiers sur leurs portefeuilles présents et futurs.

Une transparence accrue

Une transparence accrue s’impose avec la directive européenne sur le ‘Corporate Sustainability Reporting’. À partir de 2025, le secteur privé devra fournir des informations détaillées sur ses activités. Cette directive contraint notamment les banques à révéler le contenu de leurs portefeuilles, les secteurs financés et les émissions associées. De plus, les entreprises bénéficiaires des financements sont également tenues au même reporting, instaurant ainsi une transparence à tous les niveaux. Les données seront vérifiées par les Commissaires aux comptes. Ces informations sont également précieuses pour la société civile, qui peut les utiliser pour dénoncer les pratiques néfastes ou les manquements aux engagements pris.

Plans de transition et taxonomie verte

Enfin, les entreprises – dont les banques – pourront élaborer, d’ici au premier trimestre 2025, des plans de transition et les restituer au format de la CSRD afin d’aligner leur activité sur la taxonomie verte européenne. Cet outil mis en place par l’UE pour mettre en avant les investissements durables est « un système de classification des activités économiques qui permet d’identifier celles qui sont durables sur le plan environnemental, c’est-à-dire qui n’aggravent pas le changement climatique », selon les termes de l’Union européenne.

Elle passe au crible de six objectifs plus de 200 secteurs pour établir des critères en fonction desquelles une activité économique est considérée comme durable. Ce référentiel se veut un dictionnaire anti-greenwashing, ses définitions doivent pouvoir servir dans de nombreux cas : commande publique, labels et obligations vertes.

Si sa mise en place a fait l’objet de nombreux débats – certains secteurs controversés comme le nucléaire, la production de gaz ou l’aviation y ayant été intégrés sous certaines conditions strictes – elle fixe aux entreprises un référentiel précis pour réduire leurs émissions.

Dans la pratique, les entreprises concernées sont encore loin d’être au niveau des critères de la taxonomie. Leur plan de transition sera donc regardé de près : et si ces plans de transition n’ont rien d’obligatoire, une entreprise sur un secteur à fort enjeu qui n’en aurait pas enverrait un message clair au marché.

Donner ses préférences à sa banque

À notre échelle d’épargnant individuel, nous disposons aussi de nouvelles marges de manœuvre pour contrôler l’action de nos banques.

Depuis 2022, un règlement européen élargit en effet le devoir fiduciaire : jusqu’ici, la responsabilité qu’avait le tiers vis-à-vis de l’épargnant lui confiant son argent était limitée à la fiabilité du placement. La seule exigence imposée à l’institution financière était de questionner son client sur ses préférences autour du rapport entre rentabilité et risque : préférait-il un placement plus rentable, mais moins sûr ou inversement ?

Depuis 2022 août, ce devoir fiduciaire étend les obligations des grands réseaux de distribution. Le conseiller bancaire est maintenant tenu de demander à ses épargnants d’exprimer leur souhait quant à la destination de l’argent – c’est-à-dire leurs préférences d’investissement en matière environnementale (climat, biodiversité, eau…) ou sociale.

Une liste de questions est établie pour permettre à l’épargnant d’exprimer ses préférences de durabilité. En retour, le conseiller doit alors proposer des produits correspondant aux attentes exprimées afin de permettre à l’épargnant de placer son épargne sur des investissements durables qui lui correspondent, dans la limite de l’offre disponible de produits financiers.

Choisir des placements labélisés

Autre levier existant pour se repérer dans la jungle de la finance durable, les labels. En France, l’épargnant particulier peut se référer à trois principaux labels, qui sont en cours de révision.

. Le label FinanSol est consacré à la dimension sociale, visant à allouer 10 % de la somme placée au financement d’entreprises ou d’associations de l’économie sociale et solidaire, les 90 % restants étant dédiés à l’économie classique.

. Green Fin, créé en France, permet d’investir au moins 16 % dans des secteurs jugés durables, tels que les énergies renouvelables et les mobilités douces, tout en excluant tous les secteurs portant préjudice à l’environnement. Bien qu’il suive actuellement un référentiel propre, il sera aligné sur la taxonomie verte européenne.

. Quant à l’ISR (Investissement Socialement Responsable), sous la responsabilité du ministère des Finances, il couvre près de 50 % du marché des fonds, mais a été critiqué pour ne pas exclure les secteurs polluants tels que les énergies fossiles, se contentant de sélectionner les “meilleurs” de chaque secteur.

L’an dernier, un travail important a toutefois été mené pour définir des normes d’exclusion : désormais, toutes les entreprises qui développent de nouveaux projets sur les énergies fossiles sont écartées du label ISR, et la qualité des plans de transition va être évaluée sur les secteurs à enjeux.

Choisir sa banque

Ces labels ont tous leurs limites, et surtout ne concernent que des fonds. Ils ne s’appliquent donc pas aux banques dans leur ensemble.

Quand bien même nous plaçons notre épargne sur des fonds durables, cela ne garantit pas que la banque soit globalement vertueuse. Certes, presque l’intégralité des groupes bancaires français s’est engagé à une démarche de neutralité carbone à l’occasion de la COP26 à Glasgow. Mais il faudra mesurer si les promesses sont tenues dans le temps.

Les stratégies des banques ne sont par ailleurs pas toutes les mêmes : certaines arrêteront le financement de secteurs émetteurs de gaz à effet de serre quand d’autres se contenteront de mettre en place des financements sous conditions (par exemple, d’utiliser des technologies plus avancées et plus propres).

La question est aussi de savoir si les investissements vertueux se substituent ou simplement s’additionnent aux investissements émetteurs. Pour les épargnants les plus convaincus, il existe aussi la possibilité de se tourner vers des banques plus engagées dans la durabilité, telles que la NEF ou le Crédit coopératif.

Quoi qu’il en soit, si l’évolution rapide des réglementations peut porter à confusion, la transparence accrue des banques et des entreprises devrait faciliter à terme l’appropriation du sujet par la société civile : nombre de médias et d’ONG décryptent et analysent ces évolutions pour aider le particulier à faire des choix plus éclairés en la matière.


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